samedi 15 août 2015

La transformation des bureaux : un sujet récurrent ?

http://www.larenovation.fr/le-blog-de-la-mutation/1-la-franstormation-des-bureaux-un-sujet-recurrent-1055

1. La transformation des bureaux : un sujet récurrent ?

 

Bien que l’idée de mutation de bureau en logement semble originale, ce n’est pas pour autant une idée nouvelle. Le sujet suscite en effet un vif intérêt et de nombreuses interrogations chez plusieurs acteurs de l’immobilier et de la construction depuis la fin du 20ème siècle.
La question a été abordée dans différents contextes, notamment dans le milieu des années 1990 au moment d’une crise de surproduction d’espace de bureaux. Selon le Grecam[1], à l’époque plus de 4,5 millions de mètres carrés de bureaux étaient vides, ce qui représentait environ 10% du parc d’immobilier tertiaire d’Île-de-France[2]. Pour faire face à la surabondance de bureaux vacants, un certain nombre d’incitations aux transformations avaient été instaurées par les pouvoirs publics, notamment au travers de la loi Habitat du 21 juillet 1994[3]. Hervé Charrette, alors ministre du logement, met en place un groupe de travail piloté par Jaques Darmon dans le but de réaliser une analyse parallèle de la situation de la production immobilière d’entreprise et d’apporter des éléments de compréhension à la crise du logement.
 
Au terme de ce travail, il propose des recommandations pour encourager et favoriser ces transformations. Les propositions s’articulent autour de deux axes principaux : l’assouplissement des règles d’urbanisme d’une part, et des incitations financières d’autre part. Le premier axe se traduit par la mise en place de l’exemption de permis de construire dès lors que les travaux ne créent pas de surfaces supplémentaires ou de modifient pas l’aspect extérieur des bâtiments. Il permet également l’exemption de la création de places de stationnement lors de ces transformations, et l’incitation aux communes à appliquer le « COS de fait[4] ». Les incitations financières, elles, se traduisent par une aide aux transformations, grâce à une subvention des travaux de l’Anah[5] et de la Ville de Paris, évaluée en fonction du montant des travaux. En contrepartie, un plafond de loyer du logement est imposé. Enfin, un prêt à taux fixe est également proposé, permettant de financer les travaux de transformation de bureaux en logements à la condition de garantir un usage résidentiel des locaux pour une durée minimum de cinq ans.
 
Pendant les cinq années qui ont suivi (1994-1998) le recensement de ces opérations, entrepris en Île-de-France, fait état de la création de plus de 1 600 logements par des opérateurs publics et presque 2 100 logements par le secteur privé. Ce nombre représente 530 000 mètres carrés de logements créés, soit l’équivalent non négligeable d’une année de construction neuve supplémentaire[6].
[1] Grecam : Le Grecam est une société reconnue d’études et de conseil en immobilier.[2] DE MARIGNAN C-H pour lEIF (institut d’épargne immobilière et foncière), Transformation de bureaux en logements : une ébauche de solution à la crise de du logement semée d’embûches, IEIF Les analyses, février 2014, 15p.[3] ORIE (observatoire régional de l’immobilier d’entreprise en Ile-De-France), La transformation et la mutation des immeubles de bureaux, février 2013, 56p. [4] La règle dite du « COS de fait » permet de reconstruire un bâtiment à l’identique même si sa densité dépasse la norme fixée par le COS. Cette règle vise à encourager les opérations de rénovation sur les bâtiments existants.[5] Anah : agence nationale de l’habitat, partenaire logement sur le parc immobilier privé. Agit avec les collectivités territoriales sous la forme de subventions et aide au logement, etc.[6] DE MARIGNAN C-H pour lEIF (institut d’épargne immobilière et foncière), Transformation de bureaux en logements : une ébauche de solution à la crise de du logement semée d’embûches, IEIF Les analyses, février 2014, 15p.
Mais à la suite du grand nombre de transformations sur cette période, les incitations ont été moins porteuses et n’ont permis que de produire entre 300 et 400 logements par an en moyenne dans les 10 ans qui ont suivis.  Cette perte de vitesse s’explique notamment par la reprise économique que l’on a pu observer dans les années 2000 et qui a poussé les entreprises à remettre en état et réutiliser des réserves de bureaux vacants pour leurs activités fleurissantes.
 
Les incitations publiques auront donc eu, dans les faits, un effet relatif. Outre les aspects statistiques, un des éléments notables de la démarche est le caractère de ces mutations : elles ont introduit l’idée d’un changement d’usage temporaire : « Les opérateurs avaient pour une durée déterminée la possibilité, après avoir transformé leurs bureaux en logements, de revenir à un usage bureau[1] » En effet, la réversibilité du changement d’usage est introduit dans la loi du 21 juillet 1994. On observe alors que la proposition ne vise, à l’époque, qu’à temporiser une livraison trop massive d’espaces de bureaux en transformant le parc des années 1970, déjà obsolète, mais dont la morphologie se prête à un changement de destination. En effet, la configuration classique des immeubles concernés proposent des plateaux de bureaux libres sur une trame de moins de 14m de profondeur. Le souci de l’époque ne semble pas être une démarche de valorisation du bâti mais celle de la vente d’actifs devenus des non-valeurs[2].  On observe également un certain nombre d’appartements haussmanniens parisiens, ayant été transformés en bureau au cours du 20ème siècle, être réaffectés à leur usage d’habitation initial. Néanmoins, à aucun moment il n’est réellement envisagé une transformation durable du parc disponible.
 
Le phénomène de reconversion refait surface plus récemment avec l’envolée des prix de l’immobilier résidentiel que nous avons connue en 2007. Dans certaines zones, la rentabilité que proposent ces prix du logement a convaincu des propriétaires de réaliser des transformations spontanées.
[1] ALLOUCHE F, DE LA ROUSSIERE O, LEMOINE P, MICHEL B, WARNERY M, La transformation des immeubles de bureaux : une réponse à l’obsolescence du parc francilien ? , Note de l’ORIE, n°29, février 2013, p.8-14[2] ALLOUCHE F, DE LA ROUSSIERE O, LEMOINE P, MICHEL B, WARNERY M, La transformation des immeubles de bureaux : une réponse à l’obsolescence du parc francilien ? , Note de l’ORIE, n°29, février 2013, p.8-14            
 
 

2. Les intérêts de la transformation

Certains éléments de contexte semblent favoriser l’idée de la transformation et faire re-émerger le débat de manière plus concrète aujourd’hui.
Une double crise favorable à la transformation :
 
Les réalités actuelles révèlent le constat avéré d’une double crise qui touche tout particulièrement l’Île-de-France : celle de l’immobilier d’entreprise d’une part, et la seconde bien connue : la crise du logement.
Bien que cette double crise ne soit pas uniquement présente en Île-de-France, elle est bien plus marquée dans cette région du fait de l’importance que représente son parc tertiaire. En effet, le parc tertiaire francilien est estimé à 52 millions de m2 utiles, qui pèsent pour plus de 23% du parc français et 30% des bureaux construits en France ces dix dernières années.
En termes d’immobilier d’entreprise, on observe un déséquilibre de plus en plus marqué entre l’offre et la demande.  Dans le même temps, la situation de l’immobilier résidentiel connait une problématique opposée : la demande croissante se heurte à un faible niveau de construction.  En effet, quelque soient les hypothèses de base retenues (croissance démographique, évolution de la composition des ménages, nouvelles formes d’habitat,…), on estime le besoin de production de logements en France entre 300 000 et 400 000 en moyenne par an d’ici 2030[1].
Cette double crise risque, dans un futur proche, d’avoir des conséquences sur l’attractivité et le dynamisme de l’Île-de-France. En effet, l’implantation des entreprises dans la région, notamment internationales, risque d’être mise à mal dans la mesure où les difficultés pour loger les salariés à coûts raisonnables sont de plus en plus importantes. De manière générale, les mobilités résidentielles et professionnelles vers l’Île-de-France seront moins favorisées, la dynamique et la fluidité du marché de l’emploi mis en difficulté. Enfin, les ménages, sur qui pèse le déficit de qualité de vie, auront tendance à s’orienter davantage en province[2].
 
En définitive cette double situation risque de peser sur la croissance économique régionale et un certain nombre de mesures seront à prendre. Il devient nécessaire d’inciter à l’accroissement de la construction résidentielle et dans le même temps de maîtriser la production d’immobilier d’entreprise. La transformation de bureau en logement semble être une solution parmi d’autres à ce double mal.
De manière purement quantitative, la surface de tertiaire vide représenterait un potentiel de 60 000 à 65 000 équivalents logements (en considérant qu’un logement a une surface moyenne de 70m2). Ce chiffre ne représente certes pas le nombre réel de logements potentiellement issus de la transformation, toutes les surfaces vides considérées n’étant pas éligibles à la transformation, mais ce gisement potentiel retient néanmoins l’attention.
L’idée de la transformation semble arriver de manière un peu simpliste dans le discours : trop de bureaux, pas assez de logement ? Transformons ! Mais en réalité elle s’appuie sur un certain nombre d’hypothèses qui semblent rendre plausibles le discours et la volonté de mutation. Elle entre dans un mouvement plus global d’accélération de la production de logements. Elle ne représente certes pas une solution d’envergure, mais peut accompagner ce mouvement par les possibilités qu’elle offre, en répondant notamment au problème du déficit d’offres foncières.
[1] EDE MARIGNAN C-H pour lEIF (institut d’épargne immobilière et foncière), Transformation de bureaux en logements : une ébauche de solution à la crise de du logement semée d’embûches, IEIF Les analyses, février 2014, 15p.[2] IMMOGROUP CONSULTING, Le scandale de l’immobilier d’entreprise dans un contexte de crise du logement, décembre 2012, 9p.
 
Intérêt environnemental
La première entrée est évidement l’impact environnemental de ce genre d’opération. Nous verrons dans la suite de cette étude que le principal frein à la transformation est d’ordre économique : la démolition/reconstruction est bien souvent moins coûteuse qu’une réhabilitation lourde. Néanmoins, la démarche de reconversion permet de prendre en compte ces enjeux éminemment actuels : « La rénovation, restructuration ou autre adaptation, est une valeur contemporaine liée à une éducation de préservation de ressources. La valorisation patrimoniale s’ancre dans un principe de cercle vertueux de vie des bâtiments. » LaRénovation.fr –

Les considérations environnementales montrent que la rénovation permet de diminuer fortement l’empreinte carbone d’une construction dans la mesure où cette dernière est principalement liée à la masse de béton mis en œuvre dans sa réalisation : Elle consommera entre 5 et 10kg équivalent carbone/m2 même pour une réhabilitation lourde, contre 128 kg /m2 pour une construction neuve d’un immeuble de bureau tertiaire en béton (Source: ADEME). Dans le même sens, la réhabilitation permet d’éviter la production d’un grand nombre de déchets.
D’autre part, les réhabilitations lourdes soumettent les bâtiments concernés au dépôt d’un permis de construire et donc à la réglementation thermique. Cette dernière ne s’imposerait pas sans ce changement de destination. La mutation a donc pour conséquence d’encourager la rénovation énergétique d’un parc généralement de mauvaise qualité.

Ce type d’opération semble donc donner la possibilité de créer de la valeur verte autour des bâtiments concernés. La notion de valeur verte est définie comme la valorisation financière supplémentaire d’un actif dont ce dernier peut bénéficier grâce à sa relation avec des  facteurs de développement durable. Elle s’appuie sur deux notions principales : d’une part le bâtiment respecte les principes de développement durable lors de sa conception, sa construction et son exploitation. D’autre part, la valeur de marché (vénale[1] ou locative) de ce bien est augmentée[2].
Les opérations de mutation, de par leurs caractéristiques, vont effectivement dans le sens d’une plus grande qualité environnementale, à minima pour les phases de conception. Nous considérons de plus, que le changement de destination aboutira à une occupation des espaces, contrairement à la situation d’obsolescence et d’inutilisation du moment, ce qui augmente évidement la valeur de marché du bien.
Ces démarches respectueuses intéressent aujourd’hui un public que l’on espère de plus en plus large, et par conséquent des investisseurs potentiels.
[1] La valeur vénale est une expression désignant la valeur d’un bien sur le marché. Elle constitue la valeur qu’il est possible d’obtenir d’un bien en cas de revente, au regard des conditions actuelles sur un marché donné.[2] CERQUAL, Etude économique sur la valeur verte de l’immobilier de logement. La valeur verte dans le résidentiel : une réalité aujourd’hui ?, Décembre 2011, 84p.
 
Intérêt patrimonial
D’une manière plus globale, ce genre de transformation semble répondre intelligemment aux problématiques actuelles d’évolution de la ville sur elle-même en proposant la création de logements dans les zones déjà urbanisées. Encourager et réaliser la transformation, s’inscrit dans « une vision globale et pérenne des territoires ». (Lobjoy, architecte[1]).  La mutation pose question au sujet de la valorisation patrimoniale des bâtiments obsolètes, à l’heure où le débat se pose aussi pour de nombreuses autres opérations de rénovation urbaine.  Il est souvent plus facile de démolir et reconstruire, à l’image de nombreuses opérations menées par l’ANRU sur les grands ensembles, où ses programmes de renouvellement urbain (PNRU) proposent autant, voire davantage, de démolition/reconstruction que de rénovations. Bien que la question du souvenir se pose différemment pour des bâtiments de bureaux, celle de la conservation du patrimoine est sensiblement la même. Ce genre d’opération prend fortement position dans la mesure où, au-delà d’une simple réhabilitation, une mutation d’usage valorise un patrimoine, lui offre une ‘seconde jeunesse’ au travers de nouveaux usages et usagers. La mise en avant des qualités techniques et architecturales de l’existant est au centre de l’exercice de conception et donne ainsi au bâtiment concerné une vraie valeur patrimoniale.
[1] LOBJOY L, « Oui, transformer les bureaux en logements est une bonne idée ! », Le Moniteur [en ligne]. Juillet 2013http://www.lemoniteur.fr/153-profession/article/point-de-vue/21914580-oui-transformer-les-bureaux-en-logements-est-une-bonne-idee-par-ludovic-lobjoy-architecte
 
Une volonté politique qui s’affirme.
Au-delà des intérêts présentés jusque-là, le débat sur la transformation de bureaux en logements est réapparu sur le devant de la scène puisqu’il semble aujourd’hui porté par une volonté politique. De manière très concrète, Cécile Duflot y a fait référence en 2013, en son titre de ministre de l’égalité des territoires et du logement : « Il existe aujourd’hui environ en Île-de-France 3,5 millions de mètres carrés et, probablement, sur le territoire français 5 millions de m2 de bureaux vacants dont une grande partie d’entre eux ne pourront pas être remis en location, en revanche, une grande partie d’entre eux pourront être transformés en logements[1] ».
D’autre part, nous avons vu que la question de la transformation de bureaux en logements était une des problématiques phares de la campagne des élections municipales de la ville de Paris de 2014. La volonté de mutation a été affirmée comme un projet et une vraie piste de travail par chacune des représentantes des deux principaux camps.
Si la transformation n’apparaît pas comme une solution d’ampleur face au manque de logement en Île-de-France, elle semble néanmoins être une possibilité pour produire rapidement des logements de bonne qualité. La mutation peut générer des réponses originales et créatives. La faisabilité de ces opérations sera fortement dépendante de la capacité de ces responsables politiques à prendre des mesures qui encouragent la mise en place de ces opérations.
La toute récente Taxe sur les Friches Commerciales (TFC) semble un premier pas dans ce sens-là. La TFC est un impôt local qui touche les « bien commerciaux inexploités », et notamment les immeubles de bureaux restés inoccupés depuis plus de deux ans[2]. Elle reste, dans un premier temps, applicable uniquement sur le territoire de la ville de Paris. Elle représente une taxe conséquente et évolutive. Elle est calculée sur la base de la taxe foncière due sur les propriétés bâties et s’élève à 5% la première année d’imposition (3ème année de vacance), 10% la seconde année puis 15% à partir de la troisième année. Ces taux sont ajustables, pouvant être doublés, par décision du conseil municipal. Il conviendra d’observer dans les mois à venir, les effets de cette incitation toute récente (en date du 1er juillet 2014) qui pourrait représenter un vrai levier d’action dans le sens de la transformation.
Les décideurs politiques semblent donc bien s’être emparés du sujet et si leur intérêt pour la question continue à se poursuivre au-delà  des projets de campagne, d’autres actions devraient permettre de faciliter effectivement les démarches et de favoriser la transformation.
[1] LE MONITEUR « Urbanisme-logement : les mesures qui feront l’objet d’ordonnances », Le Moniteur [en ligne]. Avril 2013<http://www.lemoniteur.fr/145-logement/article/actualite/20916477-urbanisme-logement-les-mesures-qui-feront-l-objet-d-ordonnances>[2] SERVICE PUBLIC, « Taxe sur les friches commerciales »,  [en ligne], Juillet 2014,  <http://vosdroits.service-public.fr/professionnels-entreprises/F22422.xhtml>
 

3. La transformation face à la production de logement.

 
La standardisation/normalisation de la production de logement
 
La création de logements via la transformation s’inscrit dans une réflexion bien plus large sur la production de logements aujourd’hui en France. Il apparait que la normalisation des espaces de logements est de plus en plus grande et contraint fortement la production d’espaces, à l’image des réglementations récentes qui pèsent sur la conception : en particulier la réglementation thermique, et l’adaptation des espaces aux personnes dites à mobilité réduite[1].  L’importance de ces éléments à prendre en compte dans la conception d’espace de logements pourrait apparaitre comme un défi intéressant à relever, on dit d’ailleurs souvent qu’un grand nombre d’éléments imposés nourrit le travail du concepteur et fait émerger les propositions les plus intéressantes. Néanmoins, les réponses à ces éléments normatifs sont aujourd’hui souvent du même ordre et similaires d’une opération à l’autre. Ces éléments semblent contraindre les propositions de projets dans la mesure où les réponses proposées ont tendance à être standardisées.
 
Cette standardisation croissante de la production des espaces de logement s’explique également par un phénomène parallèle à la normalisation. Comme dans la production d’immobilier tertiaire, on a vu apparaitre des aspects d’ordre éminemment financiers dans la production de l’immobilier résidentiel. On ne conçoit plus en premier lieu du logement collectif pour habiter, mais essentiellement comme un bien marchand dans la mesure où il est l’affaire des promoteurs et devient donc un actif financier. Ce phénomène a logiquement favorisé la généralisation des éléments normatifs imposés au logement et a même eu tendance à accélérer la standardisation.
 
 
Une offre qui n’est plus adaptée à la demande sociétale.
 
Bloqué face à ce double phénomène, la production de logement semble avoir manqué un virage : celui des évolutions sociétales, notamment ceux de la cellule familiale.  La notion d’habitat fait écho à la question des modes de vie. Ces derniers évoluent mais la production de logement ne semble pas les prendre en compte, comme si les modes d’habiter, eux, devaient rester fixes. Le modèle du logement actuel s’organise autour de la cellule familiale classique, mais ne permet pas de répondre à des besoins liés à des structures familiales en évolution. Les questions d’habitat évolutif se posent par exemple pour accueillir un parent vieillissant devenu dépendant ou pour faire face au départ d’un jeune adulte hors de la cellule familiale. Par ailleurs, la recomposition familiale ne change pas, dans les faits, les ‘habitudes d’habiter’, et « ne serait qu’un jeu de chaise musical dans le parc[2] » si la séparation et la recomposition de deux nouveaux couples étaient simultanées. Or ce n’est pas vraiment le cas. Le phénomène de séparation, qui n’est pas négligeable aujourd’hui, a plusieurs conséquences : il augmente le nombre de personnes isolées, et impose souvent à ces parents isolés d’accueillir, au moins à temps partiel, des enfants dans des conditions de confort suffisant. Ces évolutions pèsent sur la demande, et donc sur la structure même des besoins du parc de logement. Ces modes d’habiter sont certes plus difficiles à prendre à compte mais ils sont une réalité, pourtant ils ne font que très peu partie des questions posées lors de la production de logement. On parlera de « l’impossible ajustement ménage/logement »[3].
Loin des évolutions profondes et des recherches typologiques proposées par les années 1970  et 1980, il semble aujourd’hui que la société change mais que le programme du logement, lui, stagne[4].  L’architecture du logement des années 2000 a proposé des originalités de façade et des évolutions techniques non négligeables, mais très peu de réflexion en termes de plan et de typologie. Le mode de production de logement neuf standardisé semble ne pas permettre de répondre aux enjeux énoncés, qui sont pourtant très actuels et porteurs d’évolution dans le projet.
 
 
Les possibles enjeux de la mutation de bureaux en logements face à cette équation
 
Au vu de ce rapide contexte de la production de logements, les projets de mutation se présentent comme une opportunité de proposer une démarche différente. Nous verrons par la suite que ces opérations ont peu de chance de proposer à terme une offre compétitive en termes purement économiques. Il semble donc bien plus intéressant de chercher à produire des logements qui répondent à un segment de la demande non satisfaite aujourd’hui.
 
Les démarches proposées pourraient permettre de concevoir des espaces différents qui répondent aux enjeux de l’évolution des modes d’habiter. Par exemple, les bâtiments de bureaux, datant des années 1970, obsolètes aujourd’hui face au besoin des entreprises semblent plutôt adaptés quant aux aspects évolutifs du logement évoqués. Ces bâtiments sont très tramés et organisés autour d’une structure poteaux/poutres qui laisse une grande liberté au concepteur et une plus grande adaptabilité
Par ailleurs, pour sortir de la production classique, certaines formes d’originalité programmatique peuvent être envisagées. Les expériences de logements en autopromotion ont en particulier fait émerger la question de l’expérience programmatique des habitants et de la prise en compte de nouveaux besoins fonctionnels. Elles permettent de sortir des idées préconçues car ne font plus seulement appel aux acteurs habituels de la production de logement. Même si cette forme d’opération reste très ponctuelle, d’autres initiatives peuvent chercher à prendre en compte ces nouveaux besoins. La réflexion peut porter par exemple sur des pièces de services partagés dans les espaces résidentiels : mettre en place une chambre partagée pour accueillir ponctuellement des amis de passage, une « boite à silence » : salle insonorisée pour les groupes de musique des jeunes, ou pour trouver un temps de repos. Les modèles sont encore à construire mais on revient à se poser la question de la manière dont on vit dans ces espaces.
 
En définitive, ces opérations de transformation pourraient donc être une opportunité de se positionner en dehors de la production classique de logements. Leurs caractères spécifiques et les processus de projet originaux, apparaissent comme une vraie opportunité de re-questionner ces modes d’habiter au regard des problématiques soulevées, dans le but de proposer une offre innovante.
[1] Machabert D., Souto De Moura E., Siza A., Habiter, imaginons l’évidence, 3ème biennale d’architecture de Caen, Dominique Carre Edition, Septembre 2013, p.36
[2] Léger JM.  Habiter, imaginons l’évidence. Modes d’habiter : les ressources de la conception architectural, Dominique Carre Edition, Septembre 2013.
[3] Léger JM.  Habiter, imaginons l’évidence. Modes d’habiter : les ressources de la conception architectural, Dominique Carre Edition, Septembre 2013, p.36
[4] COLBOC E.  Habiter, imaginons l’évidence. ???, Dominique Carre Edition, Septembre 2013, p.36

 

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